Le grand-père Chabelo guérit avec son chant

 

Par Mamselle Ruiz

 

J’habitais aux Caraïbes mexicaines dans la région de Tulum. Plusieurs amis parlaient du grand-père Chabelo et de son chant guérisseur. Personnellement, je ne donnais pas d’importance à ces rumeurs, même si j’étais chanteuse et que je croyais au pouvoir de la voix et de sa vibration pour l’avoir moi-même expérimenté avec mon chant.

 

Un jour, je me sentais assez perdue. Je n’avais aucune structure, aucun rêve à poursuivre, ma carrière était dans un moment assez flou et j’avais perdu le nord, comme on dit dans mon pays de naissance, le Mexique.

 

Cette matinée-là, je suis sortie de chez moi en me dirigeant vers la plage, au quartier général où tous les amis se réunissaient. Lorsque je suis arrivée, tout le monde était en train de se préparer pour partir vers Cancún, car un maracame (guérisseur autochtone) allait faire une cérémonie. Je n’ai pas allumé tout de suite pour aller à l’aventure. À vrai dire, j’avais peur. Puis, une amie s’est approchée et m’a dit : viens-tu avec nous? Je lui ai répondu que je n’avais pas d’argent pour payer. Elle m’a dit, je t’en prête, tu me paieras après. J’avalais ma salive, car je me sentais indirectement compromise… Par la suite, un autre ami est arrivé. Il me dit : « Nous allons avoir besoin d’une couverture, de fruits, ainsi que d’une gourde d’eau. » Je me suis sentie soulagée... ouf! J’ai répondu à ma première amie : « Oh! Tu vois, je n’ai rien de tout ça. Je ne pourrai pas y aller avec vous. » Mais quelle « coïncidence » : une personne que je ne connaissais pas arrive et dit : « Eh! Moi, j’en ai en masse! Je vais partager avec toi tout ce dont tu auras besoin! » Gulp! Ça y est, j’étais entraînée dans l’aventure avec une quinzaine de personnes pour aller à la cérémonie. C’était la première fois que je me laissais embarquer comme ça par le hasard, sans limites ni réflexion.

 

Nous sommes arrivés sur place. Nous allions faire la cérémonie à l’extérieur, autour d’un feu de camp au beau milieu de la jungle. J’ai trouvé ma petite place au cercle. J’ai déposé la couverture que je me suis fait prêter, puis tous les autres éléments : de l’eau, une lampe de poche et une chandelle.

 

Je suis allée déposer les fruits sur la table commune pour le déjeuner après la cérémonie. Nous allions jeûner toute cette soirée-là jusqu’au lendemain.

 

La cérémonie a commencé. J’ai vu la présence du maracame arriver. C’était un monsieur autochtone d’une élégance magistrale et d’une claire humilité. Il s’était habillé avec les vêtements traditionnels de la culture wirikuta (au désert du centre du Mexique). Il avait voyagé jusqu’aux Caraïbes pour nous offrir une expérience unique, guérisseuse, remplie de magie et qui allait changer ma vie.

 

Avec tous les amis et d’autres gens que je ne connaissais pas, assis en cercle, nous avons commencé la séance. La consigne était claire. Silence, rester assis, ne pas dormir, attendre les instructions au fur et à mesure de la soirée. Le grand-père Chabelo — il s’appelait comme ça — s’était assis sur son siège, et les personnes (aidants) qui venaient avec lui ont mis un mobile tissé de fils de couleurs à son côté droit.

 

L’heure de se faire servir de l’ayahuasca, une plante médicinale autochtone originaire d’Amérique du Sud, est arrivée. J’ai pris deux cuillères avec du jus d’orange dans un petit verre. C’était assez pour toute la nuit.

 

Au fil des heures, le grand-père s’est mis à chanter, son chant était un mantra doux, pénétrant, rempli de mystère, qui nous a fait entrer en transe. Tranquillement, ce mantra et l’effet de l’ayahuasca ont ensemble commencé à produire toute une influence. Je suis entrée dans une espèce d’état d’hypnose très profond, tout en restant consciente.

 

Plus il chantait, plus je me submergeais dans les eaux profondes de l’histoire de ma vie : mes mensonges, mes peurs, les relations qui ne fonctionnaient pas, mais aussi la merveille de l’univers — les étoiles brillaient par milliers —, le macrocosme et le microcosme, mon magnifique système vital, les arbres, ma mère, la planète, la beauté des gens autour de moi. Tout était clair, comme un effet de recul clairvoyant sur ma vie et sur l’existence. Je « comprenais tout ».

 

Au fur et à mesure que la nuit avançait, les chants du grand-père changeaient et devenaient plus intenses. Par exemple, lorsque les gens se couchaient sur leur couverture et semblaient vouloir dormir, le grand-père changeait de chant. Naturellement, la pluie arrivait. Lorsque tout le monde se ressaisissait, il changeait à nouveau son chant et tout redevenait un peu plus « normal ». De toute évidence, pour moi, c’était le chant qui maintenait tout! L’ambiance, les gens en harmonie, le feu, la température!

 

Le grand-père, avec ses énormes yeux noirs comme l’obsidienne, n’observait que le feu, mais je sentais qu’il observait tout et nous protégeait tous avec ses mantras. Il nous orientait vers un lit sécuritaire à l’intérieur de nous-mêmes avec son chant rempli d’amour de grand-père. À un moment donné, au bout d’un moment, le mobile qui flottait à côté de lui s’est mis à tourner sur son axe et, soudainement, s’est allumé d’une couleur bleu-turquoise. Je n’en croyais pas mes yeux. Je savais que c’était un esprit.

 

Le grand-père Chabelo a chanté toute la nuit sans arrêter.

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Le chant et les femmes en difficulté au Honduras